L’histoire de l’indépendance irlandaise est jalonnée de sacrifices, et même de martyrs.   

Il en est ainsi des insurgés des Pâques sanglantes de 1916. Se dressant pour réveiller l’Irlande assoupie, venant porter témoignage de la survivance de l’âme gaélique malgré les ricanements et souvent l’hostilité d’un grand nombre de leurs compatriotes, les chefs rebelles fusillés donnaient là le signal d’un mouvement qui ne devait plus s’arrêter. Sacrifice aussi que la mort de Michael Collins, il y a 100 ans, le 22 août 1922. Celui qui avait vaincu l’occupant britannique, contraignant Londres à la paix, était frappé par les balles d’Irlandais refusant le Traité.

Patrick Pearse le poète, l’éducateur, le combattant du renouveau culturel, l’idéaliste, tombait en 1916. Michael Collins le dur à cuire (« big fellow », son surnom gagné en détention après l’insurrection de Pâques), le soldat, l’inventeur de l’Armée Républicaine Irlandaise – l’IRA, l’homme du compromis fondateur, tombait en 1922. Deux figures, deux maîtres de volonté pouvant servir d’exemple à quiconque a au cœur l’identité et la liberté de sa patrie.

Ce dimanche 21 août, précédant la date du centenaire d’une journée, des milliers d’Irlandais s’étaient massés à Béal na Blàth dans le comté de Cork, lieu de la tragique embuscade qui coûta la vie au Général Michael Collins, où une cérémonie officielle était organisée par le gouvernement, sous l’égide du Premier ministre. Si l’hommage est unanime, c’est que chacun reconnaît désormais en Collins le fondateur incontestable de l’Irlande libre.

« S’il ne fut pas le seul artisan de cette libération, il en fut certainement le général sans la volonté implacable duquel les combattants de l’ombre auraient peut-être abandonné la lutte », écrit Michel Déon dans sa préface du livre de Pierre Joannon – incontournable spécialiste français de l’Irlande – consacré à Michael Collins.

De fait, Michael Collins qui a participé aux journées de 1916 sans en être l’un des dirigeants, fut sans doute l’un des maîtres de la guerre insurrectionnelle et révolutionnaire.

L’homme n’est pas un romantique, mais un réaliste dans le camp de prisonniers de Frongoch, Collins mûrit les leçons et son plan. Parmi ses compagnons de détention, il sélectionne, recrute, remettant sur pied l’Irish Brotherhood, fraternité secrète sur laquelle il s’appuiera dans les années à venir. Sortant de prison, il prend d’abord la direction de la National Aid Association qui apporte argent et secours aux prisonniers, aux rebelles et à leurs familles. Là encore, il s’agit d’un précieux point d’observation pour poursuivre la reconstruction de l’organisation militaire qui a été décapitée en 1916.

Pour assurer la sécurité de ses hommes, il organise un réseau de planques dans la ville, dotant certaines adresses de fausses cloisons, d’abris intérieurs, de trappes permettant de s’extraire. On considère qu’il doit beaucoup à la chance d’avoir échappé à de nombreuses arrestations, mais il le doit tout autant à la préparation. Il ne s’arrête pas là : pour conjurer les bavards et pourchasser les traîtres, Michael Collins va doter l’IRA d’un véritable service de renseignements. Il aura même des complices au sein de la division spéciale de la police chargée de lutter contre les Républicains à Dublin ! Enfin, pour rendre coup pour coup, il forme un « squad » en charge d’éliminations ciblées.

Pendant deux ans, le cycle de la guerre révolutionnaire va suivre son cours : aux attaques de l’IRA succéderont des vagues de répression féroces, souvent aveugles, suscitant l’indignation de la population et entraînant à nouveau des réponses des nationalistes. En 1921, allant de défaite militaire en défaite électorale, les Britanniques sont prêts à négocier, et c’est Michael Collins et Arthur Griffith qui iront à Londres.

Le Traité instituant l’Etat libre d’Irlande fait de l’île un dominion, un statut alors similaire à celui du Canada. Arthur Griffith défendra le texte devant le parlement irlandais : « Si le Traité ne nous donne pas la liberté totale à laquelle toutes les nations ont le droit d’aspirer, il nous donne la liberté de travailler à la gagner. »Emmenée par Eamon de Valera, principal chef républicain et héros de 1916, près de la moitié des députés du Sinn Féin refuse le Traité anglo-irlandais. Après le plébiscite pro-Traité des élections de juin 1922, la scission militante devient un affrontement militaire : la guerre civile est là. Désormais à la tête de l’Armée Nationale Irlandaise, le général Collins va devoir affronter l’IRA scissionniste.

C’est dans ce contexte fratricide que Michael Collins est abattu, tombant dans une embuscade alors qu’il effectue une tournée dans son comté de Cork natal. « Il vaut mieux mourir sous un ciel irlandais », selon les paroles du magnifique Foggy dew.

Le nationaliste anti-Traité Tom Barry, alors incarcéré, a raconté dans son livre la réception de l’annonce de la mort de Collins, décrivant un millier de prisonniers républicains « psalmodiant à haute voix la prière des morts pour le repos de l’âme de Michael Collins ». Le choc est terrible, même pour ceux qui étaient devenus ennemis. Dans les rues de Dublin, un demi-million d’Irlandais marcheront derrière le cercueil recouvert du drapeau tricolore.

Lucide, Eamon de Valera commentera des années plus tard : « L’histoire retiendra la grandeur de Michael Collins, et ce sera à mes dépens ». Oui, « Mick » Collins, militairement puis politiquement, est le père de l’indépendance. Et de Valera fut le président de la République irlandaise, certes imparfaite et incomplète, issue du Traité qu’il refusa et contre lequel il appela à prendre les armes.

Figure héroïque tout autant que tragique, Michael Collins est mort deux mois avant d’avoir 32 ans. Quelques fugaces années de vie publique auront suffi pour que la nation irlandaise toute entière lui témoigne sa reconnaissance un siècle après sa mort.

Philippe Vardon

Tribune parue le 23 août 2022 dans Valeurs Actuelles

Illustration : Michael Collins s’adressant à la foule lors de la Saint-Patrick, 1922