J’ai souvent regretté que les plaques des rues de Nice ne soient pas assorties d’indications. Ainsi, pourrait-on lire sur les plaques de la rue de Lépante : «Bataille navale qui vit la Sainte Ligue chrétienne défaire les Ottomans en 1571.»

Cette bataille est considérée par beaucoup d’historiens comme la plus importante des confrontations sur mer depuis celle d’Actium, marquant la fin de la grande guerre civile romaine. «Ce jour-là – écrit Cervantès, futur auteur du célèbre Don Quichotte, qui prit part fougueusement à la bataille – se dissipa l’erreur dans laquelle était le monde entier, convaincu que les Turcs étaient invincibles sur mer».

Il faut dire qu’alors rien ne semble pouvoir arrêter l’expansion de l’empire ottoman. Partout les Turcs avancent, conquérants. La prise de Chypre, possession de la République de Venise, en 1570 au terme d’une conquête brutale (plus de 20 000 habitants de Nicosie sont tués, l’un des chefs vénitiens est coupé en morceaux, l’autre écorché vif…) est enfin l’élément déclencheur d’une réaction européenne. Le pape Pie V en appelle à la constitution d’une armée coalisée chrétienne, qui prendra le nom de Sainte Ligue. Placée sous le commandement de Don Juan d’Autriche, demi-frère du roi d’Espagne Philippe II, elle rassemble, outre l’Espagne et le Saint-Siège, Gènes, Venise, Malte et les ducs d’Urbin, Parme, Mantoue, Ferrare et de Savoie.

En 1571, 28 ans après le siège de Nice par les mêmes Ottomans, c’est ainsi vers un autre affrontement que s’élancent trois navires armés par la maison de Savoie et commandés par le Niçois André Provana de Leyni. C’est au large de la Grèce, dans le golfe de Lépante, que l’armada de la Sainte Ligue va faire face à la flotte ottomane dirigée par Ali Pacha. Ces derniers sont plus nombreux et comptent plus de vaisseaux : 10.000 hommes de plus pour les Turcs, et 212 navires chrétiens contre 251 pour les musulmans.
Le combat qui s’en suit est terrible, nul n’est épargné et les chefs eux-mêmes se jettent dans la bataille. Mais le vent tourne et l’histoire l’accompagne : la Sainte Ligue est victorieuse !

Le retentissement est considérable, «mondial» dirait-on sans doute aujourd’hui. Les artistes Le Titien, Véronèse ou Le Tintoret immortalisent la victoire. Partout est célébré le valeureux Don Juan, et Pie V introduit dans le calendrier liturgique, à la date du 7 octobre, la fête de Notre-Dame du Rosaire.

S’il est une rue de Lépante à Nice, c’est que les Niçois prirent toute leur place dans ce combat. André Provana de Leyni (lui aussi honoré d’une rue dans la continuité directe de la rue de Lépante) n’est pas le seul Niçois à avoir participé à l’expédition de Lépante puisque se trouvent à ses côtés – le secondant – Marc-Antoine Galléan et un Gubernatis, tout comme bien entendu, d’autres hommes d’équipage originaires du pays.

«La mémoire est essentielle pour qu’un individu comme une société se projette dans l’avenir.» écrivait Jacques Médecin.* S’il est malheureux que la municipalité n’ait pas jugé utile de célébrer le 450ème anniversaire de cette victoire importante dans l’histoire de l’Europe et singulièrement de notre ville, comme cela est le cas dans de nombreuses communes italiennes ou espagnoles, il appartient à tous les Niçois de s’approprier et partager ce souvenir héroïque. »

*La République des juges, Hachette/Carrère, 1996

Philippe Vardon

Tribune parue le 7 octobre 2021 sur Nice-Presse